Francopolis - 05/2014

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Choix Karim Cornali

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Rouilles

Les heures dégoulinantes aux carcasses des bateaux caressées et rongées par l’oxyde entêtement des marées hautes, des marées basses, de ce lent va-et-vient qui annonce la rognure des cales et bastingages. Absorbées et dissoutes les coques maritimes infusent l’eau saline. Flottent les particules d’ocreté corrosive, les poissons innocents boivent l’orangeade, les sardines imbéciles se prennent pour des rougets, et les flots comme un astre permutent l’horizon. Parois éventrées de constructions portègnes, les immeubles bétonnés montrent leurs entrailles. Des mains acérées sortent des parois, creusent la grisaille, atteignent la lumière. S’ouvrent les colonnes, les murs et les arêtes des buildings impériaux qui connurent la gloire. Mais Buenos Aires n’est plus et avance la rouille, craquent les pavés, s’écroule la cité en poussière hématite. Paysages qui se flétrissent en beauté marronante. Les enfants excités ramassent les châtaignes, collectionnent les feuilles mortes, s’inventent des trésors de cette nature passée. Le ciel arboriforme s’assombrit doucement, isabelles au galop, alezans ou baillets, les nuages à la coupe dérobent leur cuivré. Les heures dégoulinantes aux carcasses des bateaux caressées et rongées par l’oxyde entêtement des marées hautes, des marées basses, de ce lent va-et-vient qui annonce la rognure des cales et bastingages. Absorbées et dissoutes les coques maritimes infusent l’eau saline. Flottent les particules d’ocreté corrosive, les poissons innocents boivent l’orangeade, les sardines imbéciles se prennent pour des rougets, et les flots comme un astre permutent l’horizon. Parois éventrées de constructions portègnes, les immeubles bétonnés montrent leurs entrailles. Des mains acérées sortent des parois, creusent la grisaille, atteignent la lumière. S’ouvrent les colonnes, les murs et les arêtes des buildings impériaux qui connurent la gloire. Mais Buenos Aires n’est plus et avance la rouille, craquent les pavés, s’écroule la cité en poussière hématite. Paysages qui se flétrissent en beauté marronante. Les enfants excités ramassent les châtaignes, collectionnent les feuilles mortes, s’inventent des trésors de cette nature passée. Le ciel arboriforme s’assombrit doucement, isabelles au galop, alezans ou baillets, les nuages à la coupe dérobent leur cuivré.

Écluses

Regarder les écluses par temps de pluie, sous un ciré jauni qui nous laisse détrempés. Immobiles aux yeux d’enfants ébahis, laisser filer le temps et l’eau d’un bief à l’autre. 
Canal paisible qui l’espace d’un instant sous des remous discrets rêve de devenir cascade. Mais la lente vidange et le long remplissage n‘agitent l’eau dormante que de doux soubresauts. Le canal est frustré de tant de platitude, il voudrait déverser, bouillir et s’échapper. Les vannes et les barrières le retiennent prisonnier tandis que les navires descendent dans la fosse. Ouvrez les portes, laissez sortir les lions de mers, les cétacés enragés, la houle marine qui tempête en secret ! Fermez les vantaux d'aval, ouvrez les ventelles et aqueducs d'amont, peut-être enfin l’eau du chenal deviendra pirate ou boucanier. Comme des statues de sel fondant sous l’eau de pluie, des humains abasourdis devant les mécanismes. Moulin fantastique, forteresse imprenable quand la cuve enfin vide et le bateau parti, l’abîme d’une oubliette verdie par des mousses aquatiques.

Chalutier

Je te dis en voiture le long des ports de pêche que leurs grandes machines m’attirent et me fascinent. Mais tu ne me crois pas. As-tu déjà senti l’âcreté océane, permanganates maritimes, acides ocrés qui rongent les carapaces des bateaux chalutiers ? Lentement leurs coques invincibles se diluent dans les eaux, rongées par le sel, le temps, les affres pécuniaires. Mais chaque nuit pourtant, des armées de métal rompent les amarres pour aller pêcher le thon. Elles mouillent le chalut et leur treuil de relevage comme des bras de colosse capturent la vie. S’agitent les poissons, s’étripe la poiscaille, le filet se referme sur des reflets de gris et vainquent les matelots. Reviennent au port des machines cahotantes, leur souffle de fumeurs résonnent dans les criques où ils déposent leur sac et leur précieux butin. Le matin se lève dans des couleurs touristiques, nulle vie à bord de ces embarcations. Squelettes en fer rouillé qui teinte l’écume, une mousse orangée glisse sur le sable. Le port est arrêté, parfois un navire gronde, salue ses camarades et va mourir au large. Les filets et les cordes sèchent au soleil et les mains calleuses des marins revenus serrent les poitrines chaudes des femmes endormies.